Edito : Les fermes urbaines : gadget ou progrès ?

Les « fermes urbaines », telles qu’elles sont conçues à Genève, relèvent-elles d’un imaginaire fantasmagorique d’une classe sociale boboïsante qui s’illusionnerait sur les capacités de notre monde à répondre, quantitativement et qualitativement, à nos besoins alimentaires ? La question mérite d’être posée lorsque plus de la moitié de l’humanité vit en ville et que nos paysans disparaissent rapidement au rythme de près de 2% par an, précarisés chaque jour davantage par le système économique actuel.

Cette double évolution nous contraint de repenser la relation de l’homme-urbain avec la nature dont il s’est affranchi et avec le monde agricole dont il tire sa subsistance. Il nous faut toutefois éviter de promouvoir l’émergence de concepts erronés susceptibles de nous aliéner définitivement la nature et les paysans.

Le postulat des « fermes urbaines » constitue un bon exemple de cet enjeu. Elles répondent à une vision de notre société qui subordonne notre développement aux impératifs économiques mais elles peuvent aussi être envisagées dans une société qui veut renouer des liens avec la nature et les agriculteurs.

Ces fermes sont aujourd’hui imposées sans débat public, comme un gimmick tombé du ciel, par l’administration et des responsables politiques incapables de déterminer leurs choix sociétaux et de rompre avec le modèle néo-libéral. Dans son essence, ce concept peut apparaître attrayant car il préconise une forme d’hybridation de deux espaces désormais antagonistes, la ville et la campagne. Pour autant, dans les faits, il entraîne, nolens volens, une rupture avec le monde agricole que les « urbains », au contraire, doivent valoriser.

Pour les partisan(e)s d’une rupture avec le primat économique, ce ne sont pas des fermes sur les toits, des maraîchers amateurs dans nos parcs avec des pseudo-marchés à la ferme pour les classes les plus aisées qui permettront de reconnecter le consommateur urbain avec la nature et avec l’activité paysanne, de le sensibiliser à la provenance et à la qualité de son alimentation et de l’intéresser au concept de souveraineté alimentaire. Pour ces femmes et ces hommes c’est le contraire qui risque de se produire Les fermes urbaines soutiennent une vision écologique au rabais. Elles ne répondent à aucun besoin et n’offrent aucune perspective. De plus, elles altèrent l’appréciation que nous devrions avoir du monde agricole et de nos espaces naturels. Elles/ils craignent qu’avec la promotion des « fermes urbaines », nous glissons subrepticement dans le simulacre, dans une réappropriation billevesée du monde agricole. Nous tromperions le consommateur en idéalisant artificiellement les réalités du labeur agricole et en réduisant la nature à une chimère. Ce serait le pire moyen d’engager les changements structurels radicaux nécessaires pour promouvoir une activité paysanne tournée vers une alimentation saine.

Il nous faut plutôt dialoguer avec monde paysan et mettre en place, dès le plus jeune âge, une véritable éducation au respect de la nature. Dans notre petit canton-ville-campagne, nous disposons de nombreux atouts pour valoriser le travail de nos agriculteurs et de renouer des liens avec la nature.

Dans ce contexte, la promotion de fermes urbaines apparaît pour le moins incohérente, voire hypocrite. Nos autorités s’engagent en effet, sans concertation et à grands frais, pour le développement de ces fermes et donnent simultanément leur aval au saccage des terres agricoles en épousant les requêtes des promoteurs immobiliers pour construire et densifier sans fin notre territoire comme c’est le cas à la Goutte Saint Mathieu à Bernex. Et à travers ce tour de passe-passe, elles croient pouvoir s’exonérer de leur engagement pour une authentique transition écologique, en se parant, de surcroît, à bon compte, d’une couronne de laurier environnementale.

Il convient donc impérativement d’ouvrir le débat et de s’interroger sur le sens de cette démarche onéreuse imposée par des administrations qui ont compris qu’elles peuvent avec ce stratagème rallier sans difficulté les exécutifs et plus généralement les élus. Pour le monde politique, il est souvent est plus facile d’investir dans des infrastructures visibles de prestige que de s’engager dans une difficile transition écologique. En définitive, il s’agit de savoir si ces fermes sont des outils pratiques pour atteindre une transformation radicale nécessaire de notre système agricole ou si ce ne sont que de faux-semblants et de faux-fuyants destinés à abuser le citoyen.

En attendant ce débat, conservons nos parcs pour le délassement de nos habitants et pour favoriser toutes sortes d’activités ludiques, culturelles, sportives. Et prenons le temps d’une réelle concertation avec le « vrai » monde agricole ainsi qu’avec une nature, que la densification à outrance menée par les autorités, condamne à disparaître.

C’est l’objectif que poursuit l’AHPTSG dans le cadre de la ferme de Budé, avec l’exigence d’un « Espace socio-culturel et environnemental » qui est par ailleurs déjà exigé par une motion du Conseil municipal, auquel elle souhaite adosser, dans une démarche pédagogique et didactique, un espace muséal qui retracerait l’histoire de l’une des plus grandes fermes de la Ville de Genève.

C’est également dans cet esprit que le Comité de l’AHPTSG a décidé de soutenir l’initiative « Climat urbain » lancée dans le cadre d’une campagne nationale, dans de nombreux cantons suisses, par l’Association Actif-TrafiC qui vise une réappropriation de nos espaces urbains, notamment de nombreuses chaussées pour une plus grande convivialité, voire pour des activités jardinières, en réduisant simultanément les nuisances du trafic.

C’est également avec ces mêmes préoccupations que nous sommes heureux d’annoncer, dès le 10 mai prochain, la création, sur la place du Petit-Saconnex, du premier marché alimentaire hebdomadaire (tous les lundis) avec justement le désir d’offrir à nos concitoyens l’opportunité d’acquérir les produits bio du travail de nos « vrais » paysans et de nos « vrais » vignerons en favorisant, à leur intention, des circuits courts de distribution.

Le Comité de l’AHPTSG

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