Edito : Suisse-Grèce

Cet éditorial se veut un hommage à Charles Schaub, qui toute sa vie œuvra pour le bien de son Petit-Saconnex natal. Charles Schaub, avocat de son état, peut être considéré comme le premier néo-helléniste genevois. Sa riche bibliothèque néo-grecque (donnée en partie en un premier temps, puis léguée par son propriétaire à la Bibliothèque de Genève) a formé un premier noyau de ce qui est devenu la Bibliothèque de l’Unité de Grec moderne de l’Université de Genève.

Une amitié au service de l’indépendance

Exposition au Musée d’art et d’histoire de Genève, 15 octobre 2021 – 30 janvier 2022 et livre d’accompagnement du même titre

On ne peut pas tout avoir : à ce que l’on dit, le public du MAH ne s’intéresse plus aux catalogues d’exposition ; qu’à cela ne tienne, la mode est précisément aux livres qui accompagnent une exposition. Cette formule laisse une grande latitude aux concepteurs et aux réalisateurs d’une exposition et le résultat, qui se veut affranchi des liens temporels et spatiaux, paraît plus durable. Parmi les inconvénients, sans doute voulus sinon recherchés, il y a que cet accompagnant livresque, sauf louables exceptions, mélange les objets exposés avec les œuvres qui sont simplement reproduites, en confondant ainsi le lecteur ; il ne conserve guère la trace de l’exposition. Au demeurant, ce n’est pas une publication du Musée que le visiteur se voit proposer à l’entrée, bien qu’elle ait été pour l’essentiel réalisée dans ses murs par son personnel, mais « une publication de la Fondation Hardt pour l’étude de l’Antiquité classique… », comme récite l’Impressum.

Ces réserves faites, le livre intitulé Genève et la Grèce · Une amitié au service de l’indépendance est un louable compromis : à la fois une introduction qui permettra au visiteur de mieux profiter de l’exposition et un ouvrage de référence sur un sujet qui gagne à être mieux connu : la naissance de la Suisse et de la Grèce modernes, et les liens, autant personnels que dépendant de la conjoncture internationale à la fin de l’épopée napoléonienne, qui ont favorisé le succès de ces accouchements difficiles.

Béatrice Blandin, l’archéologue du Musée d’art et d’histoire et commissaire de l’exposition, a su revêtir le costume de l’historien et mettre en musique les contributions de trente contributeurs ! Elle-même est le premier contributeur en termes d’articles et de pages. Pour le reste, ce sont des historiens qui introduisent, avec autant de clarté que de concision, les trois parties consacrées au XIXe siècle. Irène Hermann écrit sur « Les traités post-napoléoniens », la Suisse et Genève ; Peter Lehmann sur « Le concept de neutralité de Charles Pictet de Rochemont ». Michelle Bouvier-Bron consacre son attention au « Mouvement philhellène en Suisse » et à Jean-Gabriel Eynard, tandis que Meropi Anastassiadou-Dumont introduit « La domination ottomane et le mouvement d’indépendance ». Christos Loukos donne des pages magistrales sur le programme de Capodistrias et la fortune posthume de celui-ci en Grèce au cours des deux siècles qui ont suivi.

Signalons encore deux contributions qui jettent une lumière originale sur la façon dont la Guerre d’indépendance a été ressentie dans le monde des beaux-arts de l’époque (Mayté Garcia : « Les artistes européens face à la guerre d’indépendance : le rôle de Delacroix ») et sur la façon de faire participer les enfants à travers les jeux au soulèvement des Grecs (Ulrich Schädler sur les jeux).

Et, pour qui s’intéresse à la genèse de l’exposition, à ceux qui l’ont conçue, à ceux qui l’on rendue possible et à ceux qui l’ont réalisée, le catalogue offre en filigrane les éléments de lecture dans une appendice, qui fait figure de quatrième partie. Ainsi, la Fondation Hardt, en affirmant son précieux « néo-philhellénisme » (voir pp. 173 et 179), s’est substituée aux instances dirigeantes du Musée en obtenant que Genève et la Grèce · Une amitié au service de l’indépendance soit mise au programme 2021 de celui-ci. Cela explique le souci du directeur de la Fondation de consacrer une quatrième partie du volume « aux liens d’amitié » unissant la Grèce et la Suisse (et Genève), qui fait la part belle à l’École suisse d’archéologie, dont il demeure encore un des « incontournables », après en avoir été longtemps le directeur. On y voit même les stagiaires de l’Ecole apprenant à conjuguer le verbe « creuser » sous la houlette d’une maîtresse de grec moderne ! Sans oublier un coup de chapeau au Musée du Philhellénisme d’Athènes, qui vient d’ouvrir ses portes cet été, en s’affirmant d’emblée comme l’arbitre du néo-philhellénisme, avec son « Prix du philhellénisme Lord Byron », décerné pour 2021 à Jack Lang, John Kerry et à Charles Pictet, le banquier et mécène genevois. On pourra regretter que la restauration de la chapelle aniconique de Hagia-Kyriaki à Naxos – d’une immense importance pour l’histoire de la religion et de l’art à Byzance –, qui reçut pourtant le prix Europa Nostra 2018, pour laquelle la contribution d’une association lausanno-genevoise fut déterminante, et qui représente à ce jour la seule collaboration gréco-suisse dans le domaine du byzantin, ne soit pas mentionnée ; c’est la loi du genre…

Cette publication se signale encore par une longue série de messages officiels, qui sert de hors-d’œuvre. Il manque seulement le mot du directeur du Musée, en rupture avec une tradition solidement établie…

L’exposition, de dimensions moyennes, bénéficie d’une mise en œuvre empreinte d’austérité. Elle aurait mérité quelques investissements supplémentaires sans pécher par excès de luxe. Lors du vernissage, elle a été honorée de la présence de Lina Mendoni. Le ministre de la culture de Grèce ne s’est pas trompée sur son importance, sur l’importance de rappeler les liens privilégiés qui ont lié Genève et la Grèce à une heure décisive de leur histoire.

Des objets et des documents d’une puissance évocatrice exceptionnelle ne manqueront pas d’émouvoir le visiteur, de le transporter du coup deux cents ans en arrière. Nous songeons notamment au document marquant la reconnaissance de la neutralité permanente de la Suisse, signé, entre autres, par le comte Capodistrias. Ou l’acte de naturalisation de Capodistrias en tant que bourgeois de Genève, pour lui et ses descendants, avec le coffret en or dans lequel il lui fut offert, ont quitté le Musée Capodistrias de Corfou et le coffre-fort dans lequel ils sont conservés. Et bien d’autres encore, point n’est besoin d’allonger une liste, ces trois pièces justifient à elles seules la visite.
Matteo Campagnolo