Edito : Péril sur la démocratie

L’exigence citoyenne au cœur d’une relance des processus de décisions démocratiques

Aux yeux du quidam, nos démocraties offrent toutes les conditions nécessaires pour répondre aux aspirations citoyennes. Pourtant, les citoyens dans les pays occidentaux sont de plus en plus nombreux à considérer que leurs opinions sont occultées par une élite aux ordres d’un pouvoir économique concentré sur ses seuls profits. D’où un appel généralisé au « dégagisme ».

Ce déni de citoyenneté ressenti par un nombre croissant d’électeurs mine nos démocraties et se traduit par un malaise sociétal durable qui s’exprime par des dérives populistes aboutissant au refus de toute proposition gouvernementale considérée d’emblée entachée d’irrecevabilité.

Cette détérioration du climat politique est exacerbée par quatre facteurs qui gangrènent les démocraties occidentales. Le premier est lié aux conséquences d’une mondialisation largement imposée depuis plus de trois décennies par les acteurs néo-libéraux et relayée par les élites politiques de gauche et de droite qui ne sont jamais questionnées sur leurs conséquences pour notre propre développement, voire notre sécurité. La mise à l’arrêt de chaînes de production faute d’approvisionnement de composants uniquement fabriqués en Chine en est une illustration.  Le deuxième résulte d’une incapacité de nos gouvernements, prisonniers d’une culture de la croissance, de répondre aux enjeux environnementaux, en particulier climatiques. Le troisième est le constat d’un échec du néo-libéralisme à répondre aux attentes d’une meilleure qualité de vie des classes laborieuses qui craignent pour leur avenir et leurs retraites. Le quatrième enfin, ce sont ces disparités croissantes qui rejettent dans la précarité un pourcentage inquiétant de la population. 

Face aux échecs de nos gouvernements à assurer une vie décente et acceptable à leurs administrés, le risque est donc de voir se multiplier les protestations avec pour dénominateur commun une exigence de véritables changements car il serait erroné de considérer ces revendications comme des irruptions passagères de mécontentement. Liées à des demandes politiques et sociales très concrètes, elles sont intimément liées à des dysfonctionnements structurels de nos institutions.

A ces quatre facteurs s’ajoute aujourd’hui une immigration qui intervient dans un climat de peur dans des pays vieillissants effrayés par l’irruption d’hommes et de femmes qui bousculent toutes les références sociales et culturelles prédominantes. Ce phénomène migratoire, lourdement exploité par une frange politique extrémiste au discours simpliste et dichotomique représente « l’élément déclencheur » qui pourrait anéantir définitivement nos démocraties et le modèle démocratique européen.

La Suisse avec sa démocratie directe peut-elle échapper à cet engrenage fatal et constituer une alternative ?

Nos institutions servent souvent de référence, en particulier lorsque l’on évoque le droit d’initiative et les voies de recours contre les décisions prises par nos autorités. Peuvent-elles cependant nous prémunir d’un effondrement institutionnel ? La question mérite d’être posée car, si ce n’est pas le cas, ce serait la confirmation que le fonctionnement même de nos démocraties occidentales est au cœur du problème. Nous ne pourrions même plus miser sur un approfondissement du modèle démocratique occidental pour nous épargner un « collapse » démocratique qui nous précipiterait dans le populisme, le pire régime possible avec l’assurance que les nouveaux défis écologiques ne pourront plus être relevés. Avec en d’autres mots un vrai risque existentiel et civilisationnel.

C’est dans cette situation préoccupante qu’émerge aujourd’hui une nouvelle force politique, les Verts qui, on le constate dans de très nombreux pays, apparaissent de plus en plus comme une dernière bouée de sauvetage pour éviter l’effondrement.

Cette force est-elle capable d’inciter ce sursaut démocratique si nécessaire pour assurer notre devenir et si c’était le cas, pourrait-elle entraîner les autres forces politiques sur un chemin vertueux, vers une réforme de nos démocraties pour éviter le pire ?

C’est l’enjeu de cette troisième décennie. Ne nous le cachons pas, il est incommensurablement complexe et appellera de profonds bouleversements institutionnels. Les Verts bénéficient cependant d’un atout majeur, d’un appui extérieur sous la forme d’un impératif catégorique : les changements climatiques et les défis environnementaux, seuls désormais susceptibles de faire évoluer les fondements de nos démocraties. Les prochaines élections nous diront, dans un premier temps, si les Verts peuvent constituer cette dynamique. Dans un deuxième temps, il s’agira de voir s’ils sont capables de générer les changements requis. Dans les pays où ils sont représentés dans un certain nombre d’exécutifs, leurs leaders n’ont pas su s’extraire des contingences systémiques et se sont confondus et compromis dans une gestion du court terme impropre à instiller l’amorce d’un renouveau démocratique. Pour réussir, les Verts devront d’abord sacrifier leurs actuels leaders assimilés aux élites d’un passé révolu. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils pourront être les moteurs d’un autre développement fondé sur une croissance qualitative. Les chances de succès sont limitées et le parcours semé d’embûches. Il passera sans aucun doute par l’implication de représentants de la société civile dans la gestion des affaires publiques, voire de citoyennes et citoyens choisis au hasard, comme le suggère une première expérience en France pour répondre à l’urgence climatique. Il devra s’appuyer sur les initiatives locales en mobilisant tous les acteurs disposés à contribuer au renouveau démocratique et ne pourra s’épargner une remise en cause du fonctionnement de nos parlements qui n’assument plus, depuis longtemps, leur fonction originelle de force de propositions et semblent incapables aujourd’hui de faire évoluer nos sociétés.

Alain Clerc