Edito : Regards critiques sur la création d’un quartier à Genève

Edito de Stanislas Anthonioz

Le nouveau quartier « Trembley-Coudriers » au Petit-Saconnex constitue un cas d’école

En dépit de nombreuses critiques suscitées par les trois derniers projets phares d’aménagement urbain (Artamis, les Vernets et la plage des Eaux-Vives), qui privilégient un bétonnage intensif au détriment du bien-être, de la qualité de vie de la population et de la protection du paysage, les autorités genevoises persistent et signent. Pourtant, à lire les explications fournies sur les sites de l’Etat et de la Ville, tous ces nouveaux quartiers s’inscrivent dans une vision durable et fortement végétalisée des espaces considérés. Ainsi pour la future Cité de la Musique, qui relève plus d’un pentagone de verre et d’acier dénaturant définitivement la place des Nations que d’un havre d’harmonies, les autorités nous « vendent » le Jardin des Nations, une étroite bande arborisée coincée entre les parois de béton du nouveau bâtiment de la Cité la Musique et l’avenue de la Paix (!), l’un des axes de pénétration qui deviendra sous peu le plus motorisé de la République. Bref, après avoir massacré la rade, supprimé tout espace de verdure dans les quartiers d’Artamis et des Vernets, les autorités continuent de souffler la poudre de perlimpinpin pour endormir la population, délibérément trompée par des images et des slogans fallacieux. Et ceci, en refusant systématiquement d’entendre les acteurs locaux, pourtant les mieux à mêmes de définir leurs besoins.

Dans ce contexte, le projet de modification de limites de zones (MZ) n° 30148-294 permettant la création d’une zone de développement 3 au Petit-Saconnex constitue un cas d’école qui mérite d’être mis en exergue. Rappelons qu’il s’agit de créer à la périphérie de la Ville un nouveau quartier à l’angle de l’avenue Trembley et du Chemin des Coudriers couplé à la reconstruction du « Centre de Saconnex », centre d’accueil et d’hébergement pour migrants (voir le Point presse du Conseil d’État du 3 juin 2020, extrait 20906).

Le 13 novembre 2019, le Conseil municipal de la Ville de Genève a approuvé, à l’unanimité, « le projet de modification de limites de zones ».

Le terrain ciblé (parcelles n° 4785/5281/5587-5588) héberge actuellement :

  • les bâtiments vétustes du centre de requérants ;
  • un pavillon scolaire provisoire, appartenant au Collège et École de Commerce André-Chavanne ;
  • et un parking en surface, d’une capacité d’environ 160 places.

Le nouveau Plan d’affectation de zone prévoit de supprimer l’affectation complémentaire destinée aux équipements publics afin de construire du logement. Il s’agit d’une vraie « entourloupe » juridique dont le rapport de la Commission de l’aménagement et de l’environnement du Conseil municipal prend acte sans rechigner. Dans les faits, sur cet espace de 20’000 m2, il apparaît que 2’000 m2, soit 10% seront dévolus à des activités, 60% seront destinés aux logements LUP, et le solde sera affecté aux réfugiés » (cf. : « Rapport de la Commission de l’aménagement et de l’environnement chargée d’examiner la proposition du Conseil administratif du 4 juin 2019 […] », PR-1364 A, 30 sept. 2019, p. 2).

À la lecture de ce rapport, le Comité de l’AHPTSG s’offusque de voir que le vote des membres du Conseil municipal a été influencé par des informations erronées et/ou tronquées, fournies par le Département du territoire (DT).

Pour nos lecteurs, nous extrayons trois moments de la délibération qui soulignent les manipulations des autorités et un mépris à l’égard des représentants du peuple.

Premier moment

Une commissaire demande si les grands arbres seront maintenus. [La représentante du Département du territoire] acquiesce.

Cette décision n’est pourtant pas un choix des autorités qui ont, au contraire, avalisé l’abattage de quinze arbres, ce que prouvent les plans présentés lors de la demande de renseignements préalable. La préservation de ces quinze arbres, à ce stade de la procédure, ne dépend que de la seule réaction des habitants, qui a permis de s’opposer avec succès à leur abattage, dont celui d’un vénérable chêne centenaire, doyen végétal sur le site (opposition à la requête n° M 8469, du 6 janvier 2020).

Deuxième moment

Une commissaire demande s’il est judicieux de supprimer le bâtiment provisoire utilisé pour l’école vu que le nombre d’élèves ne cesse d’augmenter.

[La représentante] répond ne pas travailler au Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP). Elle estime que ce bâtiment n’a rien à faire là.

L’affirmation est évidemment erronée. Ce bâtiment provisoire est situé à quelques mètres seulement du CEC André-Chavanne, dont il complète le besoin en classes. L’ensemble du quartier est confronté à une pénurie de places pour ses élèves, au point que le Cycle d’Orientation des Coudriers va s’agrandir prochainement et que le Collège Rousseau songe à une surélévation de son bâtiment principal, pour venir compléter la construction annexe dans son parc. Le site est donc au contraire idéal pour abriter des édifices scolaires, et répondre ainsi aux besoins de la population genevoise.

Troisième moment

Un commissaire demande si les questions des habitants ont trouvé des réponses.

[La représentante du Dpt du territoire] répond que les habitants ont été rassurés.

Forfanterie sans fondement. L’AHPTSG n’a été informée que récemment de ce projet suite à l’initiative de résidents du quartier, outrés par la tournure que prend le projet.

Il convient de dénoncer cette parodie de débat, avec d’un côté des fonctionnaires-promoteurs parfaitement informés des arcanes du projet, mandatés pour lui de faire passer tous les obstacles susceptibles de freiner son adoption et, de l’autre côté, des représentants du peuple qui découvrent ce projet et ne sont autorisés qu’à poser deux ou trois malheureuses questions sans pouvoir apprécier le bien-fondé des réponses.

Cette mascarade démocratique serait sans conséquence si elle n’entraînait pas un triple dommage :

D’abord un dommage politique qui met en cause le fondement de nos institutions et ici tout particulièrement le rôle du Conseil municipal ;

Ensuite un dommage démocratique car cet abus de pouvoir mine la confiance de la population dans ses institutions et entraîne à terme un rejet de l’autorité doublé parfois d’exigences de « dégagisme » susceptibles de dériver vers diverses formes de populisme ;

Enfin, un dommage social réel car les projets élaborés par des technocrates déconnectés des enjeux sociétaux aboutissent à des échecs qui ne répondent pas aux attentes des habitants et peuvent générer de graves problèmes sociaux. Un danger que nos difficultés à promouvoir des alternatives à nos modes actuels de développement rend encore plus tangible.

Dans le cas du PLQ du Petit-Saconex qui nous intéresse, le projet accumule encore les non-sens. Il va à l’encontre de toute mixité sociale, en misant sur la concentration d’une population fragilisée (requérants d’asile et habitants de logements d’utilité publique) sur un seul et même site. Il occulte, de surcroît, les problèmes d’accès des pratiquants musulmans à la mosquée du Petit-Saconnex à deux pas du nouveau quartier.

Le Comité de l’AHPTSG – qui soutient la reconstruction du Centre d’accueil et d’hébergement des migrants – s’est engagé à transmettre aux députés du Grand Conseil son opposition au projet de modification de limites de zones (MZ) n° 30148-294, en leur demandant de refuser cette modification. En supprimant l’affectation destinée aux équipements publics, le projet ne répond de toute évidence pas aux intérêts supérieurs de la population genevoise et de ceux des habitants du quartier (Grand et Petit-Saconnex compris).

Comme pour de multiples autres projets d’aménagement urbain, l’AHGPTSG – et de nombreuses autres associations – restent disposées à renouer le contact avec les autorités pour autant qu’il y ait une vraie volonté de dialogue de leur part, ce que ne reflète pas le refus d’entrer en matière des autorités sur toute une série d’autres revendications des milieux associatifs.

A défaut, les citoyens désabusés seront acculés au référendum pour se faire entendre. La démarche est certes légitime et constitue l’une des prérogatives reconnues, dans nos démocraties, à tous les citoyens. Toutefois si, faute d’ouverture des autorités, le référendum doit être systématiquement engagé, il contribuera également au discrédit de nos gouvernants.

Stanislas Anthonioz