Edito : Servent-ils encore les intérêts de la population?

La question s’adresse évidemment à nos élus à Genève tant au Conseil d’Etat que dans les Conseils administratifs car la multiplication des référendums contre une densification sauvage et irresponsable de notre territoire met en évidence le fossé qui les sépare des attentes de la population. Dès lors, deux choses l’une. Soit, du haut de leur tour d’ivoire, nos magistrats perçoivent mieux que les citoyens les exigences de notre développement et ils ont raison de persévérer et de poursuivre l’artificialisation des sols à outrance pour le bien de leurs administrés qui eux, dans leur ignorance, ne sont pas en état de saisir la complexité des enjeux et se trompent en refusant leurs ukases. Soit, victimes de leur dogmatisme, nos élus sont emprisonnés dans une perception dépassée de notre développement et deviennent incapables d’ajuster leurs décisions aux changements qu’imposent le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité.

Retenir la première alternative met en cause les fondements mêmes de notre démocratie car elle nous mène à considérer que l’avis des citoyens sur les questions de notre développement n’est plus justifié. Admettre la seconde option, nous oblige à considérer que nos magistrats œuvrent contre le bien commun et ne méritent plus la confiance de la population. Ce sentiment est aujourd’hui largement diffusé dans la population et motive les appels au dégagisme. 

On pourra toujours objecter que finalement c’est l’ensemble du corps électoral qui décide et que les décisions reflètent bien l’avis de la majorité de la population. Mais cette appréciation doit être nuancée car le poids de nos magistrats influe les décisions de leur parti et ces derniers, à travers leurs recommandations, amplifient encore la position de leurs magistrats. Ce déséquilibre dans le libre choix démocratique ne peut plus être éludé d’autant qu’il est encore péjoré par le poids des acteurs économiques qui gravitent autour de nos responsables politiques. Il est particulièrement mis en évidence dans la négociation internationale. Les représentants des ONG en s’interrogeant sur l’origine des responsabilités du réchauffement climatique l’ont démontré. Dans la mesure où les Etats considèrent que la responsabilité première des émissions de CO2 incombe non pas aux entreprises mais aux particuliers, ils absolvent les entreprises – et en amont les investisseurs (fonds de pension, établissements financiers) de toute responsabilité et les encouragent, de facto, à poursuivre leurs politiques de développement sans égard au climat et à la perte de la biodiversité. Les particuliers qui n’ont aucun moyen de se soustraire aux offres du marché sont condamnés à polluer.  Il n’est pas acceptable de laisser faire les entreprises et ensuite d’en appeler à la responsabilité des particuliers.

Au plan local, le même processus est à l’œuvre. Alors que nous regorgeons de locaux commerciaux vides (300’000 carrés à Genève) et d’appartements vacants, les investissements dans l’immobilier de rendement battent des records avec un risque de suroffre qui devient alarmant. Nos exécutifs laissent pourtant les promoteurs construire, au nom d’une soi-disant liberté du commerce (lorsqu’ils ne les encouragent pas). En refusant de s’opposer aux investisseurs – avec lesquels ils partagent souvent des liens très (trop) étroits – nos magistrats non seulement privent les citoyens d’un droit de regard sur la gestion de leur devenir mais ils concourent au réchauffement climatique et à la destruction de notre biodiversité et réduisent notre aspiration à une meilleure qualité de vie. Cette complicité est avérée notamment dans les projets de densification au Petit-Saconnex, à Cointrin, à la Praille-Acacias-Vernet, et au Grand-Saconnex (Pré-du-Stand). Cette politique prétendument menée pour répondre à un manque de logements contribue au contraire à susciter une croissance qui à son tour appelle à la construction de nouveaux logements. Elle est souvent réalisée par des acteurs politiques qui ne craignent pas d’afficher leurs aspirations écologiques et osent même plaider, sans vergogne, pour un changement de paradigme. Qui plus est, elle fausse le jeu démocratique car elle place les citoyens devant le fait accompli en les trompant sur les enjeux de notre développement et en en conjuguant habilement les deux concepts de progrès et de croissance alors qu’il conviendrait de les dissocier. Cette irresponsabilité va faire exploser notre empreinte écologique et ne peut aboutir, si on laisse faire, qu’à artificialiser l’ensemble de notre territoire. Elle doit être fermement condamnée en appelant les forces vives et intelligentes, et particulièrement les jeunes, à réagir. Car leur survie en dépend.

Pierre-André Marti

(photo : Mickael Tournier, Unsplash)